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Message par LaureC Lun 14 Mar - 21:47

Ouais enfin notre mouvement... quand on se refuse à se revendiquer du hashtag parce que c'est pas assez clair c'est pas notre mouvement.

LaureC

Messages : 40
Date d'inscription : 05/03/2016

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Message par Admin Lun 14 Mar - 21:40

Directeur de la publication : Edwy Plenel
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Ce que disent les insurgés du hashtag
PAR CHRISTIAN SALMON
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 14 MARS 2016
Le succès de la pétition « Loi Travail : non, merci ! »
et l’explosion du hashtag #OnVautMieuxQueCa
dépassent l’enjeu du débat sur la réforme du code
du travail. Loin des conservatismes, les insurgés du
hashtag éclairent une vérité masquée : le travail est une
planète où l'on se fait trop souvent humilier.
« Un million de signatures sur Internet, une
manifestation partie de la base, des mouvements
citoyens qui se créent un peu partout… C'est multiple,
multiforme, inclassable », analysait à chaud la députée
écologiste Isabelle Attard, présente à la manifestation
du 9 mars. Inclassable, insaisissable, débordant de
toutes parts la routine des revendications catégorielles,
les prévisions de la police et les évaluations blasées
des JT au soir des manifestations, la marguerite de la
protestation contre la loi sur le travail a fini par éclore
au moment où l'on ne l’attendait plus, passé le dernier
virage du quinquennat, dans ce suspens des agendas
politiques qui précède sous la Ve République le lâcher
des ambitions présidentielles.
Les états-majors politiques toujours prêts à parier
sur la peur du chômage, la précarité des emplois,
la division des syndicats pour gagner la paix civile,
n’en sont pas revenus : c’était le premier mouvement
social contre un gouvernement socialiste. Manuel
Valls s’efforça comme à son habitude de refiler le
mistigri de l’archaïsme aux opposants au projet de loi.
Il décrivit le conflit, sans craindre la caricature, non pas
comme une opposition entre deux conceptions du droit
du travail, mais carrément comme un combat entre le
XIXe et le XXIe siècles, ignorant qu’aucune loi globale
du travail n’existait au XIXe siècle et que le droit du
travail s’est constitué au fil des luttes du mouvement
ouvrier pendant tout le XXe siècle, du Conseil national
de la Résistance jusqu’à la loi sur les 35 heures.
[media_asset|
eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2ZTA3MTRlYTVjOTU5Y2EwMjhiNDU3MyIsInBhdGgiOiJmaWxlc1wvMjAxNlwvMDNcLzA5XC9uYXRpb24tYmlzLmpwZyIsInBhdGhfaGF[[lire_aussi]]
Quant aux mutations du travail au XXIe siècle, le
projet de loi n’en dit quasiment rien. Rien sur les
nouvelles trajectoires du travail et de l’emploi à
l’heure du numérique, rien sur la robotisation ou les
dérives du statut d’auto-entrepreneur. Depuis janvier
2016, le gouvernement avait pourtant dans ses tiroirs
un rapport du Conseil national du numérique sur
les nouvelles trajectoires d’emploi ouvertes par la
révolution du numérique.
Nicolas Colin, l’un des experts français de
l’économie numérique, proche d’Emmanuel Macron,
déplora dans un article que le projet de loi
ne s’intéresse pas plus aux mutations du travail
engendrées par la mondialisation, les logiciels, les
robots, la commutation... et qu’il ne dise presque rien
d’enjeux aussi importants que les nouvelles formes de
travail non salarié, le marché immobilier, et le rôle des
start-up dans la création de valeur. Cet expert concluait
que loin d’ouvrir la voie à un code du travail du XXIe
siècle, ce projet de loi s’inscrivait dans la logique
d’un règlement de comptes imposé par le patronat et
propre à la vieille économie fordiste (son article, en
anglais : Behind French Labor Reform, A Clash of
Modernizers).
• Frank Underwood et le Baron noir
Incapable d’engager une réflexion sérieuse et un
dialogue avec la société, le gouvernement a fait la
preuve de son incapacité à faire vivre la démocratie à
l'ère des réseaux sociaux. Bousculé par le succès de la
pétition « Loi Travail : non, merci ! » et l’explosion
virale du hashtag #OnVautMieuxQueCA, le service
d'information du gouvernement (SIG) créa un compte
Twitter pour défendre le projet de loi.
Son premier tweet rédigé dans le style des petites
annonces des sites de rencontre, loin d’apaiser la
colère des opposants à la loi, déchaîna les rires et
les sarcasmes : « Bonjour Twitter, je suis le projet
de #LoiTravail. On parle beaucoup de moi mais on
me connaît mal. Et si on faisait connaissance? » «
Sur ce compte, je vous dis tout ! », enchaînaient,
aguicheurs, les community managers de Matignon
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là où il aurait été si simple d’ouvrir un espace de
dialogue et d’écoute. C’était rajouter l’infantilisation
à l’humiliation.
Pierre Gattaz, le président du Medef, se chargea
d’achever la campagne de Matignon en se félicitant
de la création de ce compte qui renvoyait vers le
« vrai » projet de loi #AlireATêteReposée. C’est ce
qu’on appelle en matière de performance numérique
un « epic fail ! », un échec retentissant. Loin d’éclaircir
les termes du débat, le gouvernement s’embourba
dans des oxymorons dignes de Orwell, affirmant que
faciliter les licenciements, c'était bon pour l'emploi.
À bout d’arguments, on envoya au charbon Malek
Boutih, le Frank Underwood du valssisme, faire
vertu de son cynisme et se vanter de ses états
de service passés en matière de manipulation : «
Je sais très bien comment des politiques peuvent
essayer d’instrumentaliser la jeunesse pour des débats
internes. » Les « barons noirs » du PS, habitués
à tirer les marrons du feu de tous les mouvements
de contestation depuis 1981, en furent pour leurs
frais : cette fois, le mouvement leur échappait. Ils n’en
comprenaient ni la croissance exponentielle, ni les
formes d’expression, ni le ressort puissant qui crevait
pourtant les écrans : la dignité !
Les experts se frottaient les yeux devant ce mouvement
sans leader et sans précédent, né sur Internet d’une
poignée de YouTubers et d’une énième pétition,
autant dire de la dernière pluie. Mais voilà : plus
d’un million de signatures en quelques jours pour
la pétition « Loi Travail : non, merci ! », cela fait
réfléchir. On s’en remit aux métaphores éculées, aux
analogies historiques (le CPE), aux habituels calculs
(le calendrier des vacances)… Mais le mal était fait.
« La révolte sur les réseaux sociaux a révélé la
fragilité du pouvoir », affirme Elliot Lepers, le coinitiateur
de la pétition « Loi Travail : non, merci ! »
avec Caroline De Haas qui, elle, souligne le caractère
irréversible de la rupture avec ce gouvernement : « Ils
sont allés tellement loin dans le mépris qu’ils ont
franchi le seuil de l’intolérable. C’est la goutte d’eau
qui a fait déborder le vase de toutes les frustrations
accumulées depuis le pacte de responsabilité, la loi sur
l’état d’urgence, la déchéance de nationalité. »
Loin du syndicalisme de revendication, une
politique acoustique
Tout est parti d’une discussion entre YouTubers,
partageant un souci commun de se réapproprier le
débat politique, en s’efforçant de donner du sens,
de contextualiser les débats d’actualité, d’ouvrir de
nouveaux espaces de discussion. L’idée était de libérer
la parole, de déborder le strict agenda politicien pour
engager la conversation sur Internet. Il y a Usul, exchroniqueur
de jeux vidéo qui offre des monographies
de figures intellectuelles ou de concepts, Histony, qui
propose des « réflexions critiques pour comprendre
pourquoi l'histoire se raconte de la façon dont on
la raconte ». Depuis octobre, « Le fil d’actu » s’est
lancé dans un travail d’analyse de l’actualité ainsi
que « Osons causer », la chaîne YouTube qui parle
politique, sociologie, économie et philosophie (notre
article ici).
« Le pari, c'est toujours de rendre contagieuse une
conversation à travers des cercles concentriques »,
analyse Ludo, l’un des trois animateurs d’Osons
causer. Au départ nous nous sommes rencontrés pour
créer un espace de résonance entre nos différentes
chaînes. La loi travail est arrivée dans cette discussion
comme une invitation : une invitation à témoigner, à
raconter, à débattre sur les conditions de travail. Au
cours de la discussion, l’un d’entre nous qui était en
train d’énumérer la longue liste des humiliations au
travail, la précarité, le harcèlement, le burnout, les
heures sup' non payées, les maladies professionnelles,
les accidents du travail, a répété à deux ou trois
reprises : “On vaut mieux que ça !”. »
« En bon lecteur de Lacan, explique Ludo, il m’a
semblé que ce hashtag résonnait bien : qui est “on” ?
Le “on” ouvre un horizon, c’est un espace ouvert de
projection. Le “ça”, c’est l’univers des pulsions dans
lequel la société veut nous maintenir et nous ramener.
C’est un espace où l’on a peur du chômage, de la
crise bien sûr, mais aussi de l’autre : le patron a
peur du banquier qui doit lui faire crédit, le manager
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du patron, le chef d’équipe du contremaître, et le
salarié du contremaître. C’est une pyramide de peurs
et d’humiliations… »
[media_asset|
eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2ZTY2ZjUxMjRkZTNkYjIyNThiNDU2ZCIsInBhdGgiOiJmaWxlc1wvMjAxNlwvMDNcLzE0XC9jYXB0dXJlLWQtZS1jcmFuLTIwMTYtMDMLe hashtag : #OnVautMieuxQueCA se classait dès le
premier soir au vingtième rang au niveau mondial, du
jamais vu pour un hashtag français. Loin d’assener
des mots d’ordre à coups de mégaphone, il libérait
la parole de milliers d’internautes, plus de 200 000
tweets échangés qui dressaient un tableau effarant de la
souffrance au travail. Un cri du coeur qui s’est répandu
comme un virus. Une parole multiforme, alternant
textes, enregistrements audio et vidéo, mêlant récits
de la vie au travail, manifestes, protestations, mais
aussi espoirs, savoirs acquis au travail. Un montage
rap oscillant entre ironie et colère, espoir et désirs, un
cahier de doléances géant : cela déborda dans la rue
le 9 mars par centaines de milliers de manifestants, au
nez et à la barbe d’un état d’urgence soudain suspendu.
La boucle du soi-disant « virtuel » et du prétendu «
réel » était bouclée, coupant l’herbe sous les pieds de
la docte ignorance médiatique qui commençait déjà à
s’éclaircir la voix en s’essayant à des distinguos entre
le clic et le vote, le numérique et le réel, la spontanéité
et l’organisation.
• Le soulèvement de la vie
C’est à cette capacité de « débordement
» (contrairement aux expressions toutes faites des
médias sur les violences de fin de manifestation)
qu’on mesure la richesse d’un mouvement social et
pas seulement au nombre de ses manifestants. À
sa capacité de surprendre, de sortir du lit
des négociations salariales, de déborder le cadre
institutionnel, réglementaire ou intellectuel dans
lequel on a l’habitude de penser les luttes, les formes
d’organisation.
L’histoire du mouvement social n’est rien d’autre que
ce débordement, cet écartement, ce soulèvement de
la vie par lequel une société se rend visible à ellemême,
dialogue avec elle-même, sort de l’ombre et
de la nuit une partie d’elle-même. C’est la différence
entre des lobbies qui défendent des intérêts catégoriels
et négocient dans l’ombre, de manière occulte, et un
mouvement social qui rend visibles non seulement ses
acteurs, mais leurs expériences concrètes, leurs formes
de lutte et de vie. De la grève des mineurs de Clairvaux
aux manifestations de Mai-68, des occupations d’usine
de 1936 à celles des places publiques de Madrid,
New York, Athènes… sans oublier le printemps arabe
de 2011, c’est l’histoire des luttes et des formes
d’organisation qu’elles engendrent.
Cette histoire, tout autant que l’histoire de l’art,
retrace les transformations du rapport au temps et
à l’espace induites par les révolutions industrielles,
économiques, technologiques, écologiques, mais qui
sont aussi des enjeux de lutte et d’appropriation.
Marches. Sit-in. Occupations des terres, des usines,
des places publiques. Occupation des lieux de vie
et de travail. Contrôle et réappropriation du temps :
débrayage, ralentissement des cadences, grève perlée
ou totale. Défendre un autre rapport au temps et à
l’espace, c’est le propre d’un mouvement social.
C’est en établissant les coordonnées spatiotemporelles
du mode de production capitaliste au XIXe
siècle – la manufacture et la journée de travail – que
Marx peut tout à la fois mettre à jour la logique de
l’accumulation capitaliste et délimiter l’enjeu et le
champ des luttes à venir pour le salariat. Les syndicats
se sont approprié les règles du nouveau salariat en
imposant des règles de négociation collective, en
formalisant le contrat de travail, en pesant de toutes
leurs luttes sur la valeur de la force de travail. Marx
avait compris que le salariat, qui ne représentait alors
guère plus que 10 % des travailleurs, allait devenir la
forme majoritaire de travail aux dépens de l’artisanat et
de la paysannerie. Loin de prôner un retour en arrière,
il s’appuyait sur ce mode de production pour dégager
les enjeux de la lutte de ce nouveau salariat : le prix et
les conditions de travail.
Depuis le début des années 1980, de nombreuses
études ont analysé la crise des grandes organisations
bureaucratiques et hiérarchisées et l’effondrement du
modèle fordiste lié au capitalisme industriel de l’aprèsguerre,
au profit d’un nouveau modèle d’entreprises
décentralisées et flexibles, structurées en réseaux et
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centrées sur leur coeur de métier. Soit une organisation
constituée d’agents autonomes, capables de prendre
des décisions et de s’adapter à un environnement
incertain. La nouvelle entreprise est souvent comparée
à une agence de projets, à l’instar des productions
d’Hollywood, impliquant un mode de coopération
limité dans le temps et dans l’espace, marqué par
la logique performative des coups (que le marketing
appelle « expériences ») et qui exclut la série, le statut,
la carrière.
Les mythes du néolibéralisme
L’explosion des nouvelles formes de travail
indépendant, la précarisation des emplois, la
robotisation et les nouvelles trajectoires du travail
numérique ont détruit la communauté de travail. Elle
entraîne des transformations du rapport au travail
bien pires que le bouleversement qu’avait entraîné
l’enrôlement de la paysannerie dans la manufacture
au moment de la révolution industrielle. Les carrières
qui se développaient dans la même entreprise vont
disparaître : on parle désormais de « post-corporate
career ».
Selon Richard Sennett, la culture du nouveau
capitalisme avait besoin d’« un nouveau moi, axé sur
le court terme, focalisé sur le potentiel, abandonnant
l’expérience passée ». Quelles valeurs et quelles
pratiques peuvent souder les gens, se demandait
Richard Sennett, quand les institutions dans lesquelles
ils vivent se fragmentent ? Comment gérer les
relations à court terme tout en migrant sans cesse
d’une tâche à l’autre ? Comment acquérir les
nouvelles compétences ? Car la plupart des gens
ne sont pas ainsi, soulignait Richard Sennett : «
Ils s’enorgueillissent de bien faire quelque chose de
précis, et ils prisent les expériences qu’ils ont vécues. »
Et surtout : « Ils ont besoin d’un récit de vie durable. »
[media_asset|
eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2ZTY2ZjgzYTVjOTU5MjQ2NjhiNDU3NiIsInBhdGgiOiJmaWxlc1wvMjAxNlwvMDNcLzE0XC9jYXB0dXJlLWQtZS1jcmFuLTIwMTYtMDMLa révolution néolibérale va sonner le glas de
toutes les mobilisations, qu’elles soient protestataires
ou au contraire productives. « L’appréhension
professionnelle a tout envahi, écrivait en 1996
un collaborateur du New York Times. Elle dilue
l’estime de soi, fait éclater les familles, fragmente les
communautés et modifie la chimie des lieux de travail.
»
Si le besoin d’un récit de vie durable ne peut
plus être satisfait, cela appelle donc l’adhésion à
des récits nouveaux, susceptibles d’héroïser un moi
flexible, libéré du temps long, ouvert à toutes
les métamorphoses. Ce que le sociologue Zygmunt
Bauman thématisera en 2000 avec le concept de «
modernité liquide » : la vertu ne pouvait « plus
résider dans la conformité aux règles – qui de toutes
façons sont rares et contradictoires –, mais dans
la flexibilité : l’aptitude à changer rapidement de
tactiques et de style, à abandonner sans regret ses
engagements et ses loyautés, à profiter des occasions
dans l’ordre de ses préférences personnelles ».
Le défi dès lors n’est plus de « rester soimême
» dans un environnement changeant, mais de
changer sans cesse et de s’adapter aux circonstances
fluctuantes de la vie. Une obligation susceptible
d’être acceptée comme une nécessité économique à
condition d’apparaître aussi comme un fait culturel,
une nouvelle mode ou un roman.
« Tout ce que l’on peut savoir du capital humain,
écrit le philosophe Michel Feher, c’est qu’il cherche
à s’apprécier, de sorte que sa vie peut être envisagée
comme une stratégie visant à l’appréciation de soi ;
que chacune de ses conduites et chaque événement
qui l’affecte, dans n’importe quel registre existentiel,
sont susceptibles de l’amener à s’apprécier ou à se
déprécier ; qu’il est donc possible d’agir sur lui
en lui proposant des conduites valorisantes et des
modèles d’estimation de soi capables de modifier
ses priorités et d’infléchir ses choix stratégiques.
La condition néolibérale définit chaque individu
comme un stock de compétences innées et acquises,
prodiguées et conquises, actuelles et potentielles
ou, mieux encore, comme un stock de compétences
soucieux de s’apprécier, ou si on préfère de conjurer
sa dépréciation. »
Au même moment, L’Oréal invente le slogan « Parce
que je le vaux bien » – « Because I'm worth it » –
traduit dans plus de quarante langues et qui deviendra
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la devise du sujet néolibéral. En 1999, Malcolm
Gladwell affirmait dans un article du New Yorker :
«“Parce que je le vaux bien” a pris un sens qui va bien
au-delà de l’intention initiale. » Qui est ce sujet en
effet qui prétend juger de sa valeur ? S’autoévaluer ?
S’apprécier ? La formule mérite d’être qualifiée de
performative au sens des théoriciens des actes de
langage dans la mesure où si j’affirme « Parce que je
le vaux bien », c’est que j’estime que cette proposition
sera accréditée, reconnue et partagée par d’autres que
moi, c’est-à-dire que s'instaure un cercle vertueux où
l’estime de soi, la confiance en soi, le crédit que je
me fais, d’autres vont me l’accorder et augmenter ainsi
mon crédit.
À la même époque, les conseillers du New Labour
appellent à la « régénération culturelle » : un langage
imprégné de religiosité et inspiré par les discours de
Tony Blair, pour qui « l’art et la culture sont une
source de régénération morale et spirituelle et le
moyen de créer de meilleurs citoyens ». Ce discours
devint la nouvelle utopie sociale, une mythologie
qui puisait ses héros et ses dieux parmi les figures
médiatiques de la mode et du show business, dont le
succès prouvait que l’on pouvait s’en tirer, même en
temps de crise, à condition d’avoir du talent. Dans le
nouvel imaginaire travailliste, la « factory » d’Andy
Warhol éclipsait l’« usine » de Karl Marx.
Ce glissement symbolique et sémantique allait
imprégner à la fois l’analyse économique de
la nouvelle équipe travailliste et sa stratégie
politique. Le gourou de Tony Blair, l’économiste
Charles Leadbeater, affectionnait particulièrement
les métaphores cinématographiques. Selon lui, la
production des entreprises obéissait aux mêmes lois
que la production cinématographique : beaucoup de
scénarios sont écrits, mais quelques-uns seulement
aboutissent à un film ; un phénomène décrit comme
une « hollywoodisation » du marché du travail.
En pleine crise de récession, il invitait les jeunes
Britanniques à devenir des entrepreneurs culturels «
résilients », considérant la perte d’un emploi comme
l’échec d’un scénario et s’empressant d’en écrire un
autre qui trouverait son producteur.
La planète du discrédit
C’est cette mythologie que mettent à mal la campagne
des YouTubers et le mouvement social qui est en train
d’émerger. C'est une logique non pas de contestation
mais de renversement et de surenchère. Au slogan de
la révolution néolibérale, “Parce que je le vaux bien”,
ils retournent le compliment en clamant comme le fait
toute valeur boursière qui se respecte sur le marché des
cotations : on vaut mieux que ça.
Loin des habituelles revendications syndicales, les
insurgés du hashtag ne demandent rien, ils ne
s’indignent même pas comme les Indignados de la
Puerta del sol, à Madrid, ils affirment au contraire
leur dignité inflexible. Une butée opposée au culte
néolibéral de la performance. La dissémination virale
du hashtag #OnVautMieuxQueÇa n’est pas un brillant
coup de com' mais le renversement d'une idole, la
mise à nu d'un idéal type : le sujet néolibéral, liquide,
flexible, transformable.
[media_asset|
eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2ZTY3MDVjMjRkZTNkY2IwYThiNDU3NiIsInBhdGgiOiJodHRwczpcL1wvd3d3LnlvdXR1YmUuY29tXC93YXRjaD92PUUzRWJMdWkyQjJc3JjPWh0dHBzJTNBJTJGJTJGd3d3LnlvdXR1YmUuY29tJTJGZW1iZWQlMkZFM0ViTHVpMkIyayUzRmZlYXR1cmUlM0RvZW1iZWQmdXJsPWh0dHBzJTNBJTJGJTJGd3d+IiwiYXV0aG9yX3VybCI6Imh0dHBzOlwvXC93d3cueW91dHViZS5jb21cL2NoYW5uZWxcL1VDS1VHNFZ4NTN3N055QjJ4cHhLQ09pZyIsInZlcnNpb24iOiIxLjAiLCJLoin des conservatismes stigmatisés par la presse
néolibérale, ils ne réclament même pas le maintien
de prétendus « avantages acquis » mais dénoncent
l’archaïsme des conditions de travail et l’exploitation
caricaturale des petits boulots. « Leurs récits, écrit
Martine Orange (son article est ici),témoignent d’un
monde du travail en miettes, d’une jungle sans loi, où
règne une violence inouïe. Ils racontent leur vie en
forme d’impasse, les mois de chômage rythmés par les
visites à Pôle emploi, briseur d’espoir et d’énergie,
les galères où s’enchaînent stages, CDD, intérim.
Même en 140 caractères, ils parviennent à témoigner
d'une réalité d’angoisse, parfois de désespoir, de
ségrégation, une violence au travail inouïe, dont nous,
journalistes, n’avons pas su donner la mesure jusquelà.
»
[[lire_aussi]]
Ce qu’a en commun cette génération, c’est un terrible
apprentissage : le travail est une planète où on se
fait humilier. Ils n’expriment aucune nostalgie pour
Directeur de la publication : Edwy Plenel
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un âge d’or fordiste, des statuts et un salariat que,
pour la plupart, ils n’ont connu que sous la forme
de CDD. Ils prennent simplement au mot le mythe
néolibéral de l’auto-entrepreneur flexible pour le
ramener sur terre, dans les conditions concrètes du
travail précaire, là où règnent non pas la flexibilité
mais la rigidité des contraintes d’horaires, non pas
la mobilité mais l’arraisonnement dans le temps et
dans l’espace, l’assignation au travail de nuit, la
servitude des emplois précaires, l’exploitation des
heures supplémentaires non payées, bref une liberté
qui n’est que précarité.
En 1977, l’écrivain américain Don DeLillo imaginait
dans son roman Joueurs une entreprise qu’il
baptisa Grief Management Council. Son objet ? Le
management de la douleur. Chez Grief Management
régnait la flexibilité : « Le nombre d’employés
variait, parfois radicalement, d’un mois à l’autre.
Tout paraissait d’autant plus flottant que l’espace de
travail était sans cesse modifié. Des ouvriers fermaient
des secteurs par des cloisons, en ouvraient d’autres,
emportaient des classeurs métalliques, apportaient
des sièges et des bureaux. On aurait dit qu’ils avaient
reçu l’ordre de régler la quantité de mobilier sur le
niveau de souffrance nationale. »
Boite noire
Pour cet article j’ai eu une longue conversation
avec Ludo, l’un des trois animateurs de la chaîne
YouTube, « Osons causer », la députée Isabelle
Attard, Caroline De Haas et Elliot Lepers, les
initiateurs de la pétition : « Loi Travail : non, merci !
».
J’ai également mis à profit les analyses de Michel
Feher sur la condition libérale que l’on peut
approfondir en écoutant deux conférences récentes
qu’il a faites à Barcelone et à Berlin :

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